Si Sylvain Lelièvre avait chanté à l’envers des cartes postales, peut-être aurions-nous entendu quelque chose comme : « Oui, nous irons à Old Orchard c’t’hiver… ». Impossible à imaginer, me direz-vous. Cette petite colonie québécoise d’outre-frontière ne pourrait se concevoir sans le sable chaud, sans le bruit et les cris venant des montagnes russes, sans une pointe de pizza de chez Bill’s, sans la ruée des campeurs se hâtant de dénicher une place au soleil sur la plage, enfin sans tout ce qu’il faut pour qu’Old Orchard soit Old Orchard. Eh bien, non ! Ce n’est pas impensable. Je le sais, j’en reviens tout juste et ce fut plus qu’agréable. Mais il faut, pour s’y plaire, savoir oublier l’été. S’attendre à se retrouver seul au poste frontière, sans suivre quelqu’un et sans être suivi. Il faut escompter qu’on dérangera quelque peu un douanier qui se la coulait douce et qui nous dévisagera d’un air perplexe lorsqu’on répondra à son «Where are you going ?» – «Old Orchard Beach !» Une fois la douane passée, il faut laisser le rêve s’installer en soi en faisant abstraction peu à peu des sapins enneigés qui défilent de chaque côté de la route. Quitter peu à peu le silence des montagnes pour se préparer à l’autre qui suivra. Au bout de la neige, il y a la mer. Toujours la même, qu’on voit à chaque fois pour la première fois, avec ses vagues qui offrent leur spectacle permanent même en l’absence d’un public. Enfin, presque sans public, car il se trouve toujours, beau temps, mauvais temps, un promeneur qui va tenir compagnie à la grande et belle dame bleue. Pour lui, la longue plage se fait toujours accessible et accueillante. Même après une tempête de neige, les embruns et les marées se chargent de laisser à découvert un large ruban de sable. Et, sur les hauteurs de la plage, près des herbes, pour peu que la neige soit généreuse, on pourra chausser ses skis pour longer plusieurs kilomètres de littoral. Le bruit des vagues masquera le silence des hommes. Mais si l’absence des foules vous angoisse, si une pluie d’hiver vous chagrine, si vous vous morfondez à l’idée de n’avoir que la lecture comme seule distraction le soir, alors oubliez l’envers des cartes postales et réservez plutôt un billet pour Cuba et son soleil chaud. Ce qui, ma foi, est un bon second choix.