«De tous les trésors du monde, tu es le plus beau, tu es le plus grand, de bonheur, toi tu me combles, amoureux, toi tu me rends», chante Nicola Ciccone à travers la radio par un beau samedi matin d’été chez Béatrice*, une professionnelle bien connue dans Portneuf. Aussitôt qu’elle a entendu le refrain de la chanson «Trésor», elle s’est sentie habitée par le courage et l’amour propre, ce qui lui manquait pour s’extirper du cercle de la violence conjugale. C’était enfin le début de la fin… Béatrice existe. Son histoire est malheureusement vraie. Plusieurs d’entre vous connaissent cette femme qui travaille depuis toujours dans la sphère publique sans même savoir qu’elle traine derrière elle un passé atroce. Comme quoi les ravages de la violence conjugale ne teintent pas toujours le regard… Même s’ils laissent des cicatrices profondes sur le coeur. La tête remplie de souvenirs qu’elle a tout fait pour oublier, allant même jusqu’à essayer de se suicider pour échapper à la violence qui a miné son couple pendant une dizaine d’années, Béatrice m’a rencontré pour me raconter ce cauchemar que lui a fait subir son ex-mari – que nous appellerons Monsieur – pour éviter que d’autres le vivent. Une révélation. C’est ce qu’a été pour elle la chanson «Trésor» de Nicola Ciccone le samedi matin où elle a pris son courage à deux mains, fortifiée par l’amour inconditionnel de ses deux jeunes enfants. «Je sens mes deux enfants. Ils me serrent tous les deux et ils me voient pleurer. Ça sort, je ne suis plus capable… Quand je me suis mariée avec Monsieur, c’est cet amour-là [N.D.L.R.: l’amour évoqué dans la chanson] que je voulais: un amour fort, incommensurable. Mais là, je prends conscience que ce n’est pas cet amour-là qui est dans ma vie», m’a bravement raconté Béatrice. Le lundi suivant, elle plie bagage. Un aller simple à Saint-Raymond, à la maison Mirépi, la séparait de cet enfer auquel elle rêvait d’échapper depuis tant d’années. Assis à l’arrière de la voiture, ses enfants veulent savoir où leur mère les conduit, car elle n’avait pas eu assez de force pour leur dire encore. Comme beaucoup de petits, ils adoraient l’univers de Walt Disney. C’est à ça que Béatrice s’est accrochée pour leur répondre. «On s’en va au château magique! C’est un endroit où tu peux dire ce que tu veux et où personne ne va te faire des bobos et te dire des méchantes choses», leur a dit Béatrice. «Maman, papa pas là?», demande l’un des enfants. «Non, papa pas là!», leur répond-elle avec force tout en tentant de chasser la peur dans sa voix. Trois séjours à Méripi et un divorce plus tard, Béatrice est désormais en paix avec elle-même et avec ses choix qui l’ont poussée, la plupart du temps, à s’oublier comme femme et comme mère de famille. Monsieur avait beaucoup d’emprise sur elle. Trop. Et c’est ce qui fait que Béatrice a mis du temps avant de réaliser qu’elle était sous le joug d’un homme au potentiel violent. La violence est entrée en douce dans leur vie de couple, par la voie des mots. «Je suis grosse, je fais dur, je suis mal attriquée, je suis bonne à rien, je suis une crisse de folle, une malade mentale, une trou de cul, ma soupe goûte la merde, ma maison est très mal entretenue, je suis incapable de faire un budget et je m’occupe mal de mes enfants», a énuméré Béatrice, citant un échantillon des paroles qu’elle a endurées pendant plus de dix ans. «Le pouvoir des mots, c’est un pouvoir extrêmement puissant, car il peut amener une personne à s’autodétruire et à ne plus croire en elle», avise-t-elle. Monsieur a ensuite voulu contrôler ses sorties, ses relations amicales, son style vestimentaire et ses loisirs. «Il est rapidement devenu le centre de mon univers. Finalement, il a fait de ses rêves les miens», reconnaît Béatrice. «Je suis devenue sa chose», se rappelle-t-elle avec dégoût. «À cette époque-là, je n’écoutais pas ma voix intérieure. Je savais qu’il y a quelque chose qui ne marchait pas et je me disais que c’était moi le problème», reconnaît-elle. Sa famille immédiate est longtemps restée dans l’ignorance, car elle était sous le charme de Monsieur. Tout comme ses parents, Béatrice a fermé les yeux sur les comportements de Monsieur, s’imaginant, plus d’une fois, qu’il était question d’une mauvaise passe… Le mariage et la naissance des enfants n’ont rien arrangé, tout au contraire. «Je ne pouvais plus seulement être sa chose. J’étais aussi la mère des enfants», a fait valoir Béatrice en déplorant l’impatience et la jalousie de Monsieur à l’égard de ses propres enfants. «Je protégeais beaucoup les enfants, mais j’en ai subi aussi les conséquences», rapporte-t-elle. En plus de la violence verbale, elle endurait de plus en plus souvent de la violence physique, psychologique et même financière. Béatrice avait perdu tout contrôle sur sa vie. «Retiens par coeur le numéro de Mirépi: 418 337-4811», lui avait déjà dit une intervenante. Quand elle était épuisée de se sentir vide, elle a appelé. «Je n’étais plus rien! Je n’avais pas de projets, plus de rêves, plus d’avenir», constate-t-elle des années plus tard. Rappelez-vous le trésor qu’évoquait Nicola Ciccone dans sa chanson… En allant à Mirépi, Béatrice a redécouvert son trésor personnel. «J’ai alors compris que ça m’appartenait et que j’avais laissé quelqu’un venir fouiller dedans et me dire qu’il était vide, alors que ce n’était pas vrai», affirme-t-elle, à mes côtés, la tête haute. «Aujourd’hui, je n’ai plus peur. Je suis bien, mais ça m’a pris quasiment 15 ans. Monsieur a détruit une partie de moi-même, mais il n’a pas détruit l’étincelle en dedans de moi et ça, c’est ma victoire», confie Béatrice. «Sortir de la violence, c’est un processus qui est difficile et qui est long. Mais les efforts que tu fais pour t’en sortir n’ont pas de prix parce que la dignité, ça n’a pas de prix», explique-t-elle. Béatrice est formelle: aucune femme ne doit tolérer de la violence conjugale ni avoir peur de faire valoir ses droits en justice malgré un processus laborieux. «Faire face à la justice, c’est difficile, mais dans un cas de violence conjugale, c’est extrêmement horrible. N’y allez pas seule», dit-elle en connaissance de cause. «Quand vous endurez de la violence, allez vous chercher de l’aide et portez plainte. N’hésitez pas à porter plainte», suggère-t-elle. N’attendez surtout pas qu’on vous dérobe votre trésor! * prénom modifié