Il y a trente ans, le 1er novembre, en fin de soirée, je reçois un coup de fil de mon frère. Sans préambule, d’une voix grave, il me dit : « René Lévesque est mort ! » Il ajoute : « Les médias ne l’ont pas encore annoncé, ce sera fait dans la prochaine heure ». Celui qui fut le premier ministre le plus aimé de l’histoire du Québec venait d’être terrassé par une crise cardiaque. Mon frère, qui fut le conseiller juridique de René Lévesque, en a été informé aussitôt. Après le choc, je suis sorti pour marcher. La nuit était calme comme le sont en général les dimanches soir. Un temps propice à la réflexion. Au cours de l’heure qui a suivi, j’ai commencé à prendre la mesure de l’homme que j’avais côtoyé à l’occasion à l’Assemblée nationale. Avec la mort de ce géant, le Québec vivait la fin d’un des chapitres les plus glorieux de son histoire, une période qui avait fait l’homme que j’étais devenu. Dès mon adolescence, Lévesque avait contribué à mon éducation politique tant nationale qu’internationale, à la télévision, à son émission Point de mire où il s’était illustré comme pédagogue hors pair. Ce n’était que le début. Tout au long de sa vie publique, il m’a appris que le courage et l’intégrité pouvaient se vivre en politique : que ce soit comme ministre libéral d’abord et comme premier ministre péquiste ensuite, cet homme libre n’a jamais cédé aux pressions ou cadeaux des gens d’argent ou des petits politiciens peureux dans sa défense des politiques qui allaient faire entrer le Québec dans la modernité et assurer sa survie. Il a surmonté tous ces obstacles sauf celui qu’aucun d’entre nous ne surmonte, la mort. J’étais présent à ses funérailles devant la basilique de Québec. À mes côtés, une journaliste de la CBC pleurait en me disant qu’elle se sentait privilégiée d’avoir connu un tel homme d’État. Après le départ du cortège funèbre, j’ai croisé Jean Doré, le maire de Montréal avec qui j’avais milité jadis dans des mouvements sociaux. Je l’ai pris à part et je lui ai dit : « Jean, tu ne trouves pas qu’à Montréal, boulevard René Lévesque sonnerait mieux que boulevard Dorchester ? ». Jean Doré me regarda avec un grand sourire et me dit : « Excellente idée! ». Le gouverneur britannique perdit son boulevard dans les semaines qui suivirent. C’était une des petites histoires qui tissent la toile de la grande histoire.