C’était le fruit du hasard que cette rencontre fortuite dans l’autobus tout le long de la 20, de Québec à Montréal. Je préparais les notes de la conférence que j’allais donner et la jeune inconnue lisait. Je ne me souviens plus qui a initié la conversation ni quel sujet l’a alimentée au début. Peu importe. C’est ce qui a suivi qui mérite notre attention. L’accent de ma voisine pouvait être celui d’une Française arrivée au Québec depuis quelque temps déjà. J’appris peu après qu’elle était Marocaine et que ses parents l’avaient envoyée au Québec pour des études d’abord et pour s’y installer par la suite. «À cause, a-t-elle précisé, de la montée de l’islamisme.»
Elle se disait elle-même musulmane, mais aucun signe ne le laissait paraître. Je le lui fis remarquer. «Ma spiritualité ne regarde que moi, m’expliqua-t-elle, et je ne vois pas pourquoi il faudrait que je l’affiche devant les autres.» S’adressant directement à moi elle me dit : «Je ne sais pas si vous êtes catholique, protestant ou athée et c’est tant mieux, car ainsi je me sens libre d’aborder n’importe quel sujet. Ce ne serait peut-être pas le cas si vous portiez un signe ostentatoire de votre appartenance à une religion.»
J’ai appris, ce jour-là, l’importance d’une société laïque quand elle m’a dit que le choix qu’elle faisait de vivre ici était justement la nature laïque du Québec. Elle connaissait très bien notre histoire et elle était fascinée par la façon rapide, mais douce, dont notre société s’était libérée du cléricalisme. Elle me disait qu’elle n’était pas la seule et qu’une majorité de musulmans installés au Québec partageaient cette idée. «Malheureusement a-t-elle ajouté, vous ne voyez que les personnes qui s’affichent. Les autres, celles qui confinent leurs croyances dans la sphère privée, cette majorité, vous ne pouvez évidemment pas les voir.» Cette rencontre s’avéra une leçon de laïcité.
La laïcité est l’antidote à l’intégrisme. Lutter pour la laïcité c’est respecter les religions sans se soumettre à aucune. La laïcité ce n’est pas se poser contre les croyances mais pour le droit inaliénable à la connaissance pour tous, sans contrainte. La laïcité est une condition sine qua non d’une saine démocratie, car elle place les lois des hommes et des femmes au-dessus de toutes les lois inscrites dans les religions. Voilà pourquoi elle est jugée insupportable par tous les intégristes.