Une mère handicapée qui voit loin

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Par Francis Beaudry
Une mère handicapée qui voit loin

Engagée dans la région par son bénévolat au Centre des femmes de Portneuf et décidée à mieux documenter par ses études de maîtrise la vie méconnue des gens vivant avec un handicap visuel, Estelle Laure Nankeu Moffo est une femme qui ne laisse pas son handicap l’arrêter. Dès l’âge de huit ans, elle a dû faire face à l’inéluctable à la suite d’un diagnostic de rétinite pigmentaire, une maladie congénitale qui entraînera une perte de vision progressive durant toute sa vie. Aujourd’hui, à 34 ans, elle voit encore, mais a beaucoup de mal à reconnaître les visages, à distinguer les détails des choses qu’elle voit. «Je vois les gens, mais si je les recroise dans la rue, je peux ne pas les reconnaître», avoue-t-elle. Pour pallier son handicap, Estelle a déployé des stratégies. Pour ses études, par exemple, elle fait réimprimer ses livres et ses notes de cours «en deux fois plus grand ou même trois fois plus grand», explique-t-elle, ce qui lui prend du temps et coûte beaucoup d’argent. Aujourd’hui, la technologie sert beaucoup mieux Estelle, car elle «a de plus en plus accès à des livres électroniques» qu’elle peut consulter et agrandir rapidement. Être aveugle et parent Le rêve d’Estelle l’a destinée à venir habiter au Québec. «J’ai toujours voulu faire un doctorat au Québec», affirme la femme originaire du Cameroun arrivée d’Italie il y a cinq ans. Elle n’a toujours pas atteint son objectif, mais par sa maîtrise en service social qu’elle complète à l’Université Laval elle contribue à la science avec un mémoire qui est très proche de ses intérêts. En interrogeant des parents de la région de la Capitale-Nationale et de Charlevoix qui vivent avec un handicap visuel, Estelle espère pouvoir finalement documenter ce que vivent ces personnes. «Je regardais la documentation et des données sur les parents non-voyants il y en a partout en Occident, mais pas au Québec. C’est introuvable», déplore-t-elle. Mère elle-même, elle vit cette réalité. «Tous les jours, je vis mon sujet. Le défi c’est de garder une distance avec celui-ci», réfléchit-elle. Elle étudie les stratégies qu’emploient les parents qui souffrent d’un handicap visuel pour mener à bien leur rôle auprès de leurs enfants. «On leur demande comment ça se passe au quotidien avec les devoirs, la cuisine et les activités avec leurs enfants», explique-t-elle. L’objectif de cette recherche est d’aborder et de documenter les problématiques sociales que vivent ces parents, puisque les données manquent au Québec. Plus difficile en région Pour Estelle, la vie de parent avec un handicap visuel n’est pas de tout repos. Le transport est un enjeu important qui influence grandement ce que la jeune femme et son fils peuvent faire. «Pour le soccer, si le match a lieu à Donnacona ou à Cap-Santé, c’est plus facile, on peut y aller à pied ou en taxi», explique-t-elle. Mais l’autonomie d’Estelle et de son fils diminue quand il s’agit de sorties hors de ce rayon. «On doit faire appel aux parents des autres joueurs pour le transport», se désole-t-elle. Elle estime qu’il est «très difficile de vivre dans le comté avec une déficience visuelle». L’autonomie, c’est vraiment la clé qui motive Estelle à vivre sa vie à son plein potentiel. «Quand il y a des transports collectifs et que je ne n’ai pas besoin de dépendre des autres pour vivre, c’est bien», dit-elle. Si l’objectif d’Estelle est de bien vivre en autonomie, elle s’estime quand même heureuse d’avoir pu rencontrer des gens qui l’ont aidée. «En tant qu’immigrante, j’ai été chanceuse de rencontrer des Québécois sur qui je peux compter», se réjouit-elle. Si Estelle vit ses succès et ses difficultés à sa manière en tant que femme immigrante avec un handicap visuel, elle ne croit pas qu’il n’y ait qu’une seule manière de vivre, elle ne prétend pas qu’elle a «la recette magique». [quote font= »arial » font_size= »18″ font_style= »italic » bgcolor= »#eded87″ bcolor= »#eeee22″]«Quand j’ai accès aux transports et à de l’information qui est lisible pour moi, mon handicap n’a pas d’importance, mais quand des difficultés arrivent, il m’arrive de me dire “maudite vision”» – Estelle Laure Nankeu Moffo[/quote]  

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