Marguerite Porete a vécu à la fin du 13e siècle et n’a écrit qu’un seul livre: «Le Miroir des âmes simples et anéanties». Parce qu’elle était femme et qu’elle osait philosopher, l’Église lui fit un procès et l’évêque de Cambrai ordonna l’autodafé du livre. Pour avoir, quelques années plus tard, été trouvée en possession d’un exemplaire de son livre, elle subit un autre procès et, jugée rebelle, fut brûlée vive sur l’ordre du grand inquisiteur en 1310.
Plus personne ne pourrait subir le même sort aujourd’hui au sein du monde chrétien, car l’Église a dû affronter l’évolution des mentalités et rendre les armes devant la progression des libertés. Même s’il reste des poches de résistance, on peut dire que les jeux sont faits. Le temps a raison de tout. Qui, sur la planète, croit encore à Jupiter, à Mars et à Vénus? Par rapport à ces dieux d’un temps ancien, nous sommes tous des athées! Rien ne peut arrêter la marée du temps et elle efface tout ce qui est écrit sur le sable. Les êtres humains sont condamnés à écrire sur le sable.
La semaine dernière, une jeune fille de 18 ans, Rahaf Mohammed, a été reçue comme réfugiée chez nous après avoir échappé aux autorités saoudiennes, à son père et à son frère, tous gardiens de sa religion misogyne. Elle s’était barricadée dans sa chambre d’hôtel lors d’un voyage à l’étranger. Un petit détail m’a frappé lorsque j’ai vu la photo qu’elle a envoyée sur Internet: elle portait des survêtements de sport comme on en voit ici et partout, tous les jours. Déjà son apparence montrait son désir de vivre une vie normale de jeune femme libre.
Ce désir, elle l’a exprimé avec les moyens d’aujourd’hui. Par Tweeter, elle a réussi à ameuter des milliers de personnes et, par elles, les Nations Unies qui lui ont offert protection et sauf-conduit. La prophétesse de l’histoire c’est elle: elle nous offre la bande-annonce de ce qui attend les régimes et les religions qui veulent empêcher leurs sujets d’être libres. Le temps joue contre eux. Raïf Badawi, ce Québécois en prison pour avoir renié sa foi, et la jeune Rahaf sont maintenant des héros et des modèles pour les jeunes et notamment pour les jeunes filles de ces pays où les pères et les frères sont leurs geôliers, gardiens de l’obscurantisme. L’histoire retiendra le nom de ces héros comme elle a retenu celui de Marguerite Porete. Mais pas celui de leurs bourreaux.