Je me souviens : tous les dimanches soir, je prenais plaisir à m’enfermer dans ma chambre pour écouter religieusement (en silence et avec dévotion) les paroles de l’oiseau de nuit, Guy Mauffette, à la barre de son émission « Le cabaret du soir qui penche ». Cet homme m’a plus fait aimer la poésie que tous mes professeurs réunis. Je lui dois mon amour des chansons à texte et la découverte de l’incomparable richesse du patrimoine que constitue la chanson française et québécoise.
Je me souviens aussi de Pierre Perrault pour qui je sacrifiais toutes mes grasses matinées étudiantes du samedi matin pour l’entendre à la radio. Poète lui aussi, il arpentait les rues de la ville pour donner une voix aux sans-voix dans son émission « J’habite une ville ». Il avait le don de faire parler les gens ordinaires comme des laitiers, des travailleurs des abattoirs ou de vieux Gaspésiens exilés en ville. Il joignait toujours sa voix à la leur et le résultat était une véritable oeuvre littéraire. La série d’émissions aurait pu à elle seule lui valoir un doctorat en ethnologie.
Je relate ces deux souvenirs qui ont trait à deux émissions de radio qui avaient en commun d’avoir été produites par Radio-Canada pour pouvoir les associer à celle, monumentale, qui vient de prendre fin, Samedi et rien d’autre, animée par celui qui, pendant un quart de siècle, a obtenu sans interruption le sommet des cotes d’écoute à la radio, Joël Le Bigot. Ses propos et surtout le ton de sa voix nous reposaient de la sage et prudente animation radio-canadienne qui sévit depuis plusieurs années.
Souvent caustique et irrévérencieux, il n’est jamais tombé dans la moindre vulgarité. Il avait en horreur les réseaux sociaux et il parlait à visage découvert pour dénoncer la bêtise même si celle-ci émanait de son employeur, Radio-Canada. Sa popularité le rendait intouchable, un peu comme Pierre Foglia à La Presse. Il en profitait et nous aussi, bien sûr. Quand il parlait de liberté, nous savions que celle-ci n’avait rien à voir avec celle que brandissent certains et qui ressemble plus à un chapelet de caprices d’enfants gâtés. À celles et ceux qui l’aurait manquée, je recommande fortement l’écoute de sa prestation tout au long de l’émission de Monique Giroux le 19 juin dernier, le lendemain de son départ. Vous prendrez la mesure de ce géant des ondes, de son humanité et de sa culture. Il va nous manquer.