Écritures d’été : de la mer à la terre

par Robert Jasmin
Écritures d’été : de la mer à la terre

L’histoire des mots est chevillée à la grande Histoire et chemine avec elle. En voici un exemple. Vous avez sûrement entendu ou lu l’expression « partir en vadrouille » ou vadrouiller. Si vous demandez à un Français la signification de cette expression ou de ce verbe, il vous répondra qu’il s’agit de partir sans but précis, sans projet déterminé (pour parler comme les Américains, on dirait un nowhere).

Vous lui apprendrez que chez nous, une vadrouille c’est, pour employer un québécisme, une « moppe » ou, pour qu’il comprenne, une serpillère. Comment expliquer une telle différence dans l’usage d’un même mot ? Voici donc l’histoire du mot vadrouille. À l’origine, le mot vadrouille, en France, était un mot marin. Il s’agissait d’un terme commun utilisé sur tous les bateaux et qui consistait en un long manche auquel on attachait, à l’une de ses extrémités, des lanières de tissus. Les marins trempaient ce bout dans l’eau pour ensuite laver le pont en bois des navires.

Nos ancêtres québécois n’étaient pas des marins, mais bien des paysans. Pour la plupart, ils entendaient le mot pour la première fois lorsqu’ils s’embarquaient pour la grande et unique traversée de leur vie. Sur le bateau, les « passagers » étaient mis à contribution et devaient accomplir certaines tâches comme celle de « passer la vadrouille ». Une fois arrivés sur les rives du Saint-Laurent, ils bâtirent des maisons avec des planchers en bois, un progrès pour ces gens pauvres qui, pour beaucoup, n’avaient connu que des sols en terre battue.

Quand est venu le temps de laver ces planchers, ils se sont souvenus de leur séjour en mer et de la manière dont on s’y prenait pour laver le pont du bateau, c’est-à-dire avec une vadrouille. Or, j’imagine que chacune et chacun sait comment passer la vadrouille : en promenant le manche de gauche à droite et en serpentant pour que la partie de tissus puisse couvrir une plus grande surface. Le propre de ce mouvement est de faire des « S », soit le contraire de la ligne droite. Comme lorsqu’on part sans but défini, en se déplaçant « en vadrouille ». Ainsi, la France n’a conservé que le symbole d’un réalité encore présente au Québec, la bonne vieille vadrouille qui n’a comme but précis que de louvoyer pour rendre le plancher propre.

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