« J’espère que quelqu’un va comprendre qu’on a donné ici, on travaille, on paie nos impôts, nos enfants font du sport, on ne se cache pas, on ne demande pas d’aide, on veut s’intégrer dans un pays », clame Maïlys Imbeault, larmes aux yeux, qui, avec son mari, Guillaume Saint-Agne et leurs enfants, Lylia et Nolhan, devront vraisemblablement quitter le pays d’ici le 13 août.
Guillaume Saint-Agne est connu en tant que propriétaire du dépanneur Grande-Ligne. Il s’est porté acquéreur du commerce situé à Saint-Raymond avec un associé au printemps 2022. Mais voilà que la famille vit sous la menace d’une expulsion imminente du pays. Guillaume et Maïlys sont arrivés au Canada en juillet 2018, grâce à un permis de travail pour l’un et un permis d’études pour l’autre. L’année suivante, ils entament la démarche de renouvellement, dont ils envoient le dossier par courrier. En janvier 2022, un agent des Services frontaliers les informe que les papiers n’ont jamais été reçus et qu’ils doivent, soit quitter le pays, soit faire une demande d’asile. Or, en juin 2023, cette demande d’asile a été refusée sans appel.
Fermeture du dépanneur
Le dépanneur fermera donc dès cette semaine. « On ne peut pas s’occuper du dépanneur et de cette situation-là », dit Maïlys.
Les gens qu’ils rencontrent sympathisent. « Les gens sont outrés, beaucoup de gens nous ont soutenus », dit-elle. « Chaque fois qu’on va quelque part, on croise toujours du monde qui ne nous parle que de ça », ajoute Guillaume.
Enquête en cours
Joint plus tôt la semaine dernière [NDLR.: l’entrevue avec le couple a eu lieu dimanche], le député Joël Godin a confirmé qu’une enquête était en cours à propos des discussions qui ont eu lieu avec les agents frontaliers. « Les conversations sont toutes enregistrées. S’il y a une erreur, c’est facile d’argumenter pour avoir une prolongation ou une dérogation, affirme l’élu fédéral. Mais si les règles ont été respectées, c’est malheureux, mais l’espoir est plus mince à ce moment-là. »
M. Godin a mentionné être en contact quotidiennement avec le personnel du ministère de l’Immigration et celui des services frontaliers pour suivre la situation de près. « On veut qu’ils demeurent ici, clame-t-il. Ils sont des citoyens actifs et en tant que propriétaire d’une entreprise, la famille contribue à l’économie de la région », poursuit-il en réitérant faire tout ce qui est en son pouvoir pour changer les choses. Le député ne cache cependant pas qu’à part s’engager à faire les représentations requises dans la situation, il n’est pas celui qui a l’ultime pouvoir permettant de renverser la décision.
Deux choix
« On ne demande pas d’aide. On veut s’intégrer dans un pays, on s’est fait avoir par un agent des Services frontaliers qui nous donné un choix A et un choix B en nous disant de ne pas nous inquiéter, que c’était la meilleure solution [NDLR. : la demande d’asile] pour nous. On a choisi de croire en cet agent-là. »
Le couple se demande pourquoi on ne les a pas prévenus avant, plutôt que leur imposer une telle situation. Aujourd’hui, ils voudraient avoir le droit de faire une demande légale de délai. « On a tous les points nécessaires, le travail, les enfants, tout pour pouvoir être légalement ici. Mais ils ne nous donnent pas ce droit-là, on n’a plus le droit de faire une demande d’immigration, explique Maïlys Imbeault. On demande juste un délai, qu’on puisse souffler avec un permis de séjour temporaire, qu’on puisse demander légalement les choses et qu’on ne passe pas par cet agent-là. » Elle ne trouve pas normal qu’un agent ait autant de pouvoir sur leur dossier, que le député et le ministre n’aient plus de pouvoir que lui.
« Notre vie est ici »
« C’est dur, parce que notre vie est en fait ici », disent Lylia et Nolhan. Normalement, Lylia entre au secondaire. Mais s’ils retournent en France, elle va passer en 5e, ce qui est la deuxième année du secondaire. « L’éducation à l’école, le niveau scolaire, ce n’est pas la même chose. Quand on veut parler avec les profs, c’est tout différent ». Si Lylia se rappelle un peu de la France, Nolhan ne se souvient plus de rien, puisqu’il n’avait que quatre ans à l’arrivée de la famille au Québec.
« Le pire échec »
Guillaume n’arrive plus à venir au travail tant il est écoeuré, selon ses propres termes. « Je n’arrive pas à m’imaginer retourner en France. Par rapport à notre vécu, ça serait le pire échec de ma vie. » Maïlys et Guillaume racontent n’avoir pas eu une vie facile en France, et même avoir vécu un attentat terroriste. « On s’est cachés sous les bureaux quand l’armée est entrée. Je ne ferai pas vivre à mes enfants ce que j’ai vécu en France. On ne restera pas dans ce pays-là, on va repartir vivre ailleurs en Europe », assurent-ils. Venus du sud-ouest de la France, ils n’ont plus de maison ni de famille là-bas et, en sortant de l’aéroport, ils ne savent pas ce qu’ils feront.
Revirement possible?
Les demandeurs d’asile de la France sont peu enclins à obtenir une réponse favorable du Canada, avance Joël Godin. « Mais tout peut évoluer jusqu’à quelques jours avant le départ », affirme-t-il avec optimisme. Le ministre de l’Immigration reçoit tellement de demandes de ce type, alors elles sont souvent étudiées à la dernière minute, voire dans les heures précédent le moment du départ« , conclut-il en affirmant qu’un revirement peut être encore envisageable en fonction des conclusions de l’enquête des services frontaliers. Avec Mathieu Hardy