Derrière la porte close, les étalages dégarnis du dépanneur Grande-Ligne et le fouillis qui règne dans cette accommodation fermée dans l’urgence à la suite de la déportation de la famille de Guillaume Saint-Agne, qui l’opérait à titre de copropriétaire, nul ne pourrait s’imaginer le calvaire vécu depuis lors par son associé, Simon Labelle.
Fortement irrité par la vague d’empathie déclenchée par la série de textes publiés par le Courrier dans la foulée de la médiatisation de l’avis d’expulsion dont la famille a fait l’objet, Simon Labelle a contacté la rédaction du journal pour exposer sa réalité d’investisseur dans l’entreprise qu’il a opéré, tout en étant à l’écart, conjointement avec Guillaume Saint-Agne, depuis le printemps 2022.
Relation d’affaires
Une irrégularité n’attend pas l’autre. Et Simon Labelle ne cesse d’être confronté à des problèmes, quasi quotidiennement lorsqu’il gère les affaires du commerce, dont la situation précaire, ne lui avait pas été présentée clairement. « Je faisais confiance. J’étais investisseur. Je passais une fois de temps en temps pour m’assurer que tout le monde ne manquait de rien et que tout allait bien », a raconté, la gorge nouée, le retraité des forces armées canadiennes au milieu du désordre qui règne dans le dépanneur.
L’état des lieux est à l’image de la relation d’affaires qu’ont entretenue les deux partenaires dans les derniers mois. « Depuis le mois de janvier, je commençais à avoir des questions et j’étais plus alerte. Mais c’était presque impossible d’avoir des réponses. Il [NDLR.: Guillaume Saint-Agne] apportait tous les papiers chez lui », révèle Simon Labelle qui, en plus d’être le partenaire d’affaires de M. Saint-Agne, est le propriétaire de la maison que lui louait son associé pour loger sa conjointe et ses deux enfants.
De plus, M. Labelle confie avoir été victime d’actes de violence de la part de son associé, et ce, devant témoins. Dans de telles circonstances, la relation d’affaires entre les deux hommes, qui se sont connus en 2019, s’est détériorée graduellement.
Nombreuses dettes
Au fil de la discussion à laquelle participent aussi deux commis ayant requis l’anonymat, Simon Labelle fixe constamment une boîte remplie de paperasse qui trône au centre du comptoir-caisse. À l’intérieur, des dizaines de correspondances de la part de fournisseurs qui réclament leur dû. Bien malgré lui, ce carton, c’est une boîte de Pandore que le gérant Guillaume Saint-Agne a laissée sur son passage. « Je ne comprends pas où est allé l’argent. On a des ventes, mais pas de profits ni de liquidités », reprend-il. Selon son estimation, le dépanneur Grande-Ligne aurait pour plus de 4000$ de créances impayées auprès de ses fournisseurs. Certaines dettes datent d’aussi loin que le mois d’avril. Et c’est sans compter la situation d’employés qui n’ont pas reçu leur salaire. Pour cette découverte comme pour d’autres, c’est encore et toujours Simon Labelle qui débourse ses économies personnelles pour rétablir la situation. « Et ce n’est pas fini! J’appréhende le moment où je devrai payer les taxes sur les ventes qui n’ont, semble-t-il, pas été déclarées aux gouvernements », ajoute M. Labelle, sur une note de désespoir, pour raconter les déboires vécus depuis le dernier mois.
Partager la vérité
Lorsque questionnées afin de mettre au jour les motivations qui entraînent cette sortie publique, les trois personnes rencontrées se croisent du regard. « C’est le temps que la vérité sorte », lance avec aplomb un des membres du personnel. Cette personne déplore le fait que M. Saint-Agne, son patron, ait volé, preuves à l’appui, de la marchandise et de l’argent dans le tiroir-caisse, et ce, à répétition. « Il savait qu’il partait, mais il ne voulait pas qu’on le dise, surtout pas à Simon. Il s’arrangeait même pour qu’on ait peur de lui », témoigne-t-elle. L’autre personne de l’équipe a ajouté au témoignage en se disant outrée du fait que Guillaume Saint-Agne, ait tenu auprès d’elle et d’autres collègues, des propos diffamatoires à l’endroit de Simon Labelle et d’une autre employée, pour justifier les difficultés rencontrées, lorsque le personnel s’est mis à se questionner en ce qui a trait au manque de marchandises et à des visites de fournisseurs mécontents.
Déportation cachée
Pour l’avis d’expulsion comme pour les incongruences dans la gestion du dépanneur, Simon Labelle continue d’être mis, à retardement, devant le fait accompli. Ce n’est que deux semaines avant le départ de la famille que l’homme a appris qu’elle serait expulsée. Le couple lui a annoncé lorsqu’il n’a pas eu le choix, lui réclamant même un prêt d’argent à court terme pour l’achat des billets d’avion, raconte-t-il. Simon Labelle a désormais recours à une avocate pour tenter de mettre fin aux contrecoups provoqués par les agissements de son associé, de qui il a presque perdu la trace. La communication brève entre eux se limite à des écrits sur un ton acrimonieux, pour qualifier les déclarations de Saint-Agne, envoyés par l’entremise de Messenger.
Raisons valables?
« J’ai demandé au ministre de me donner les raisons qui appuient la décision [NDLR.: de renvoyer la famille en France] », a réagi le député Joël Godin, qui a épaulé la famille en réclamant l’annulation de l’avis d’expulsion, le 10 août. Le denier courriel échangé avec les Imbault-Saint-Agne remonte au 5 septembre et visait, en quelque sorte, à clore le dossier. « Le ministre a peut-être eu des raisons valables pour ne pas déroger », poursuit-il, en réaction aux faits précédemment exposés et dont il ignorait la teneur. Cette impression est aussi partagée par Simon Labelle. « C’est un hypocrite [NDLR.: Guillaume Saint-Agne] qui m’a joué dans le dos », conclut-il, avec amertume.