Le vendredi 9 août, le cinéma Alouette de Saint-Raymond a offert l’opportunité à quelque 230 personnes d’assister à la présentation du film 1995, en présence de son réalisateur, Ricardo Trogi, et du comédien qui y tient le rôle principal, Jean-Carl Boucher.
Et quelle excellente production cinématographique! Car si ce dernier opus du réalisateur originaire de Sainte-Foy reprend, grosso modo, la recette des trois premiers films de ce qu’il est maintenant convenu d’appeler une « quadritrogi » – 1981, 1987, 1991 et 1995 -, la grande profondeur qui l’habite par moments nous fait réfléchir, en plus de nous émouvoir.
Être ou ne pas être… artiste
La formule du quatrième chapitre de cette série autobiographique reste essentiellement la même : Boucher interprète avec grand talent des péripéties de la vie de Trogi, alors que ce dernier – intarissable conteur – assure la narration en voix hors champ, avec des commentaires empreints d’autodérision et du sentiment d’être à la fois happé et dépassé par les événements.
Dans 1995, Jean-Carl Boucher incarne les aventures parfois rocambolesques vécues par Trogi lors de sa participation à l’édition 1994-1995 de La Course destination monde, réalisée par Radio-Canada. Ainsi, à l’été 1994, alors qu’il a délaissé son rêve de devenir artiste et qu’il gagne péniblement sa vie à vendre des livres laissés en consigne à gauche et à droite dans la ville de Québec, Trogi reçoit un appel de Radio-Canada. Cet appel changera littéralement le cours de son existence. Car il sera sélectionné pour participer à cette fameuse compétition entre huit jeunes réalisateurs en herbe qui visiteront chacun une vingtaine de pays pour y préparer des reportages.
Un sujet délicat
Trogi se retrouve donc en Égypte et, ayant lu par hasard un article à propos de l’excision du clitoris chez les fillettes, il décide d’en faire le sujet de son reportage. Toutefois, les embûches ne cessent de se multiplier, et ce, pour trois raisons. D’abord, comment mener à bien ce projet alors qu’à ce propos, c’est la loi du silence qui règne en Égypte? Ensuite, parce qu’avec un esprit d’ouverture teinté de naïveté, il croit pouvoir tirer profit de l’aide d’un inconnu et, enfin, parce que les dédales de la bureaucratie égyptienne s’avèrent plus exténuants que Les douze travaux d’Astérix!
Plus de profondeur
1995 marquera fort probablement davantage la mémoire des spectateurs que ses trois prédécesseurs, et ce, parce qu’il ouvre la porte à d’importants questionnements. Interviewé par le Courrier de Portneuf, Jean-Carl Boucher a évoqué cette introspection qui habite son personnage : « Dans ce film, on assiste à des moments où Trogi, jeune adulte, se pose d’importantes questions. Il y a d’abord la fameuse question : est-ce que je suis un vrai artiste? Mais, il se pose aussi des questions comme citoyen. J’ai l’impression que pour la première fois de sa vie, il est vraiment chamboulé ».
En effet! Car, tout en tentant de se dégager des obstacles reliés à son projet de reportage, Trogi – alors âgé de 24 ans – devient obsédé par le sort réservé à des fillettes auxquelles une mutilation du corps est imposée. Puis, lors de l’émission La Course destination monde qui présentera ledit reportage, un juge condamnera la manière dont Trogi, un Nord-Américain, a traité ce sujet. Mais la question demeure : est-ce faire preuve d’ethnocentrisme que de vouloir dénoncer ce cruel traitement réservé à de petites filles?
Par ailleurs,1995 offre de fort belles et touchantes scènes, notamment lorsque Trogi se voit enfin reconnu artiste par celui qui, au fond, compte le plus pour un jeune homme qui se retrouve à la croisée des chemins : son père.
Une distribution gagnante
En plus de pouvoir compter sur le talent de Jean-Carl Boucher qui joue avec un naturel désarmant, cette comédie dramatique met en scène l’excellente Sandrine Bisson dans le rôle de la mère de Trogi, le très touchant Claudio Colangelo dans celui du père et Shadi Janho qui interprète Younis, l’inconnu qui complique tout.
Moments hilarants
Juste avant la présentation du film au cinéma Alouette, Ricardo Trogi, grâce à son sens de la répartie hors du commun, a plusieurs fois déclenché le rire chez les spectateurs présents. Par exemple, lorsqu’on lui fait remarquer la présence dans la salle de l’un de ses professeurs du secondaire, Trogi répond du tac au tac : « Mon Dieu, t’as le même jacket qu’il y a 30 ans »! Mêmes fous rires lorsqu’une spectatrice relate le vol de radios de chars dans 1987 et qu’il répond, pince-sans-rire : « Oui, j’ai volé des radios de chars à l’été 1987 » et qu’il ajoute : « C’est parce que j’ai eu une fin de secondaire difficile avec des profs qui nous dépossédaient constamment de notre cash »! Enfin, lorsqu’il évoque l’audition de Jean-Carl Boucher, alors âgé de 13 ans, pour le film 1981 : « J’ai demandé à Jean-Carl s’il avait déjà passé les journaux. Il a répondu oui. Je lui ai dit : écoute, ça va payer deux fois plus. Et donc, pour 100 piastres, il a fait le film »!
Une suite possible?
La question que plusieurs cinéphiles se posent a été soumise à Ricardo Trogi par le Courrier de Portneuf : y aura-t-il une suite à 1995? Comme il a répondu qu’il a besoin de quelques mois pour y réfléchir, le Courrier l’a relancé en lui demandant de préciser de quelle portion de sa vie il serait tenté de traiter dans cet éventuel nouveau film. « J’ai deux ou trois sujets en tête, par exemple lorsque j’ai commencé à travailler en publicité, le tout mélangé à des enjeux humains, pour éviter que ça devienne trop anecdotique. Il me faut d’abord faire un examen de conscience et revisiter certaines périodes de ma vie », a-t-il répondu.