Le chat à trois vies

Un conte de Noël de Gaétan Genois
Le chat à trois vies

Un conte de Noël de Gaétan Genois  

C’est bien connu, les chats ont neuf vies. Comment sait-on ça ? Mah ! Je ne sais pas. Je suppose que c’est comme ça, c’est tout. 

Ce que je sais, c’est qu’un chat aussi exceptionnel que miaou, je veux dire, que Mouâ, n’a nullement besoin de neuf vies. Une vie aussi comblée que la mienne, c’est bien assez ! En tout cas, ça m’aurait bien suffit. 

J’admets que je ne suis pas aussi imposant et intimidant que mes grands cousins d’Afrique, le lion, le tigre ou encore le guépard. Paraît-il que celui-là, de loin, on lui voit surtout la longueur des pattes. Mais quand on est très, très, très, très près, on ne lui voit plus que la gueule. Heureusement, il n’a pas trop le sens de la famille, en tout cas pas assez pour me rendre visite. 

Et Mouâ le chat, je suis le plus beau des chats roux qui soit. Ce n’est pas moi qui le dit, l’histoire qui suit en témoigne. 

Un jour, on se baladait comme ça. Une petite neige tombait, c’était bientôt Noël. Je ne me rappelle plus au bout de quelle laisse j’étais, celle de la grosse madame je crois, oui c’est ça, la grosse madame. Je m’en souviens, elle me pilait souvent sur les coussinets et comme réaction, je criais plus fort qu’un bébé humain. Mais jamais je ne griffais ni ne mordais, car je suis un gentil chaton, Mouâ. C’est elle qui le dit, la grosse madame qui me marche sur les papattes. Elle me dit ça quand elle me donne mon miaou mix. 

Chemin faisant, un bonhomme assez corpulent avec des grosses lunettes noires aborde la grosse madame.  

– Dites, madame, je n’ai jamais vu un chat aussi beau. Je suis producteur de cinéma et j’en cherche justement un pour jouer dans un film. 

– Dans un film ? Quoi, vous croyez qu’il pourrait être un bon acteur ? 

– Dans la mesure où on lui fera jouer un chat, oui ! Et aucun mal ne lui sera fait. Ni même à son égo. 

– Ça ne m’intéresse pas, monsieur le producteur. 

– Je lui donne… (il lui écrit le montant sur un bout de papier) 

– Wow ! Mais il ne saura jamais quoi faire de tout cet argent! Ah! ah! 

– Vous n’aurez qu’à ne pas lui dire et à garder l’argent. Ho! ho! 

– C’est une proposition indécente, et bien que je n’aie nul besoin d’autant de foin, j’accepte. Je vais prendre ça comme un cadeau de Noël. 

Le tournage commence. Un reportage à la télé fait connaître « Mouâ le chat » à toute la province. À la deuxième semaine du tournage, un très gros grain de sable s’insère dans l’engrenage, en la personne d’une toute petite madame, qui prétend être ma vraie propriétaire. Elle a pris des dizaines de photos alors que je lui tenais compagnie, trottinant dans la maison, se prélassant sur le lit, buvant au robinet, faisant tomber les bibelots. Pas de doute, c’est bien la même bête. Une bête, moi ? 

L’enjeu était éléphantesque. La petite madame devinait que la grosse madame touchait un très gros montant, mais, petit détail, je n’étais pas à elle (la grosse), disait-elle (la petite). 

– Ce chat est à moi, argumenta-t-elle de sa toute petite voix devant monsieur le juge, qui jamais de sa vie n’avait imaginé se retrouver avec une telle cause sur les bras et sur la conscience. Il se demandait même s’il allait s’en remettre et pouvoir retomber sur ses pattes. 

– S’il est à vous ce chat, ma petite madame, comment se fait-il que l’autre madame, hum, la grosse, et bien comment se fait-il que c’est elle qui le promène au bout d’une laisse en disant que c’est son chat? 

– Eh bien ! J’avoue que, des fois, il quitte la maison deux ou trois jours et il revient après. Il fait ça régulièrement, je ne sais pas où il va. 

– Moi, je le sais, dit la grosse madame, qui incidemment avait aussi une grosse voix. Il vient chez moi, poursuit-elle, et… il quitte la maison deux ou trois jours et il revient après. Il fait ça régulièrement et je ne sais pas où il va. 

Fou rire dans l’audience. Elle poursuivit. 

– Le chat est à moi, donc le cadeau de Noël est à moi. Et le cadeau n’a pas à être plus petit parce que je suis plus petite et que j’ai une plus petite voix… 

– Personne n’a dit ça madame, rétorque le juge. Le problème n’est pas la grosseur de la propriétaire. Le poids de la justice ne repose pas sur le poids de la personne. Voilà ce qu’on va faire, on va demander au chat d’identifier sa vraie propriétaire. 

On assoie donc les deux dames sur des chaises et on me place par terre devant elles. Quelle idée bête! Un chat n’est pas un chien! Je me suis assis sans rien faire, regardant partout. Sur le coup, je ne comprenais rien à ce qui se passait. 

Mouâ, du moment que j’ai mes croquettes à manger, je me fous de qui me les donne. Il suffit qu’on soit gentil avec Mouâ. 

Tout à coup, la porte de la salle d’audience s’ouvre, et entre un petit garçon aux cheveux roux. 

Je le reconnais tout de suite! Je me précipite alors et je cours me blottir dans ses bras en lui léchant le visage. 

– Te voilà enfin, mon beau petit chat. Je t’ai cherché partout. 

Le juge demande alors à l’enfant d’expliquer ce qu’il fait là. 

– C’est mon chat ! Regardez comme il m’aime. C’est parce que je l’aime aussi. Je l’ai adopté quand il était tout petit. Je l’ai trouvé aux abords de la forêt derrière chez moi. Quelqu’un l’avait abandonné. Mais, des fois, il part, cinq ou six jours, et il revient. Je ne savais pas où il allait tout ce temps, jusqu’à ce que ma maman regarde le reportage sur ce procès aux nouvelles. 

Comme j’aimais beaucoup me balader et grignoter ici et là, je m’étais assuré l’amour de plusieurs maîtres, qui croyaient tous m’avoir en exclusivité. Je vivais trois vies différentes, avec les deux madames et le petit garçon. Je disparaissais et réapparaissais au gré de ma fantaisie… et de ma faim. Mais c’est effectivement ce dernier qui m’avait trouvé et m’avait donné ma chance. 

Bon, bon, bon, bon, bon ! dit le juge à l’enfant. Tu ne me facilites pas la tâche. Ou… au contraire, tu me facilites la tâche. 

Le juge dit, en s’adressant aux deux présumées propriétaires : 

– Vous, les deux madames, je vous déboute. 

Pensant que ces trois derniers mots étaient une insulte, tant la grosse que la petite madame jouèrent les vierges offensées. Elles tournèrent les pieds et disparurent comme par magie. Surtout qu’elles venaient de perdre la chance de mettre la main sur un beau magot tombé du ciel. 

Déçu, le producteur du film se retira lui aussi, comprenant que son contrat n’était plus valide. 

Quant au petit garçon, il ramena son chat dans ses bras avec l’impression de recevoir le plus beau des cadeaux de Noël, c’est-à-dire Mouâ. 

Quelques heures après, je me retrouvais sur les genoux du père Noël dans un centre d’achats. À Mouâ, il m’offrait le plus beau des cadeaux, celui de l’amour et de l’affection. 

– Ho ! Ho ! Ho ! Joyeux Noël à tous et à toutes. Miaou ! 

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