Un conte de Noël de Gaétan Genois
Il n’y avait pas de place pour toute la famille dans la longue sleigh des grands-parents. Ils étaient tout de même huit de la famille à se laisser traîner par la jument grise et le cheval roux. Une belle petite neige du 24 décembre tombait délicatement sur les têtes, les unes capuchonnées, les autres renfrognées dans le collet de paletot.
Il ne faisait pas encore très froid. On longeait un boisé entre la maison et l’église. Il avait neigé assez fort et les grands pins portaient un bon poids de neige. Seule la lune manquait au paysage, mais elle savait qu’elle n’aurait pas été à sa place. Elle se cachait.
On avait craint que le curé annule la messe de minuit en raison d’une neige assez abondante. Cela arrivait.
Dans la nuit, on entendait que le son des grelots, jusqu’à ce que les chevaux s’arrêtent devant la porte de l’église. Les bêtes étaient amenées dans une écurie voisine le temps de la messe.
Puis on entrait. Une fournaise chauffait chaque côté de l’église. Les lampes à l’huile favorisaient l’intimité paroissiale.
Il y avait un nouveau chant qu’on chantait. Comme il se doit, il revenait à la plus belle voix du village d’entonner le Minuit, chrétiens, accompagné à l’harmonium.
Pour le sermon, le bedeau menait le curé jusqu’à la chaire en lui remettant les chants liturgiques. Après cela, il revenait chauffer les fournaises.
Si on avait bien observé le jeûne de l’avent, les cretons et la tête fromagée du réveillon étaient bienvenus.
La messe de minuit était une réjouissance religieuse. On faisait la distinction avec la messe du jour de Noël, qui était obligatoire selon les préceptes en vigueur. Dès le réveillon terminé, il fallait déjà se relever afin d’aller accomplir ce devoir.
On s’aimait davantage le jour de Noël. Pendant cette soirée unique, chacun faisait valoir ses talents, chanson, musique et bonnes blagues, sans oublier les jeux de société.
Le jour de l’An se voulait plus solennel. Pendant que la mère menaçait sa petite famille de punition divine s’ils étaient tannants, une fois rentré de l’étable le père se préparait pour la bénédiction paternelle.
Le chef de famille se tenait debout en face de la croix noire. L’aîné, entouré des autres enfants, demandait la bénédiction paternelle.
Après la grand-messe, les étrennes du curé et les cadeaux de toutes sortes, les enfants sortaient en courant de l’église, ce qu’on leur pardonnait pour une fois.
Puis les grands-parents accueillaient la famille. Les vieux passaient au salon, à la lumière de la lampe à l’huile de grand-mère, alors que sa fille s’agenouillait pour la bénédiction de son père.
Poignées de mains et embrassades s’échangeaient avec les souhaits de bonne année. Ragoût, pommes de terre, rôti de lard, tourtières, tarte à la pichoune, gâteaux et confitures régalaient tout le monde.
Puis les exploits de toutes sortes étaient fièrement racontés. Ce sont ces mêmes histoires qui se sont perpétuées jusqu’à nos jours.
Ces fêtes de fin et de début d’année étaient bien avant, bien avant notre époque, au temps où il n’y avait même pas de père Noël.
Ce récit est directement inspiré de Témoin de notre passé, de Thérèse Sauvageau (Sigier, 2004).