La disparition de ce grand, très grand comédien, Michel Côté, a créé un vide dans la vie collective québécoise. Comme le fait la disparition d’un membre important de la famille. Mais c’est aussi une partie de nous qui disparaît, car chacune de nos vie a été augmentée par les vies multiples que Michel Côté a fait vivre en nous. Or, toutes ces vies qu’il a magistralement incarnées, ne sont pas des vies réelles, ce sont des vies fictives de personnages fictifs. La fiction aurait donc un effet réel puisqu’elle affecte nos vies réelles.
Imaginons que Michel Côté aurait été médecin, ingénieur ou comptable. Il aurait été le même homme d’une gentillesse exemplaire et tout son entourage l’aurait reconnu lors de son décès, mais jamais tout un peuple n’aurait communié à sa disparition. C’est l’art (et son talent, bien entendu) qui l’a propulsé dans la vie de tout un peuple. C’est l’art, dans tout ce qu’il contient de magique, pour faire en sorte que la fiction ait des effets réels.
Depuis les tout débuts de l’humanité, les hommes ont eu besoin de se raconter des histoires. Les grandes oeuvres littéraires en témoignent : l’Iliade, l’Odyssée, la Bible, les Évangiles, le Coran et combien d’autres récits ont utilisé la fiction pour façonner les vies et les âmes de générations d’êtres humains. Don Quichotte n’a jamais existé que dans l’imagination de Cervantès et pourtant on entend encore aujourd’hui, dans la vie réelle, l’expression » Ne fais pas ton Don Quichotte! » Ou encore, tout près de nous, pour parler d’un beau-frère plutôt pingre, on dira qu’il est séraphin. Le beau-frère fait partie de la vie réelle, alors que Séraphin Poudrier est un être de fiction.
Le mythe de la vierge Marie serait probablement disparu aujourd’hui ou du moins, réduit au monde occidental, n’eût été des oeuvres d’art bien réelles qui s’en sont inspiré : toutes les églises Notre-Dame, les Stabat Mater de Pergolese, de Vivaldi ou de Verdi, la Pieta de Michel-Ange sont vus ou entendus dans le monde entier même chez ceux qui ne connaissent rien de la vierge Marie. Des grands comédiens comme Michel Côté ont aussi changé notre réalité par des oeuvres de fiction. C’est l’interaction de la réalité et de la fiction qui façonne nos vies. Et qui les rend plus belles.