Presque tous les parents ou grands-parents ont vu passer sur leur écran le film pour enfants Charlie et la chocolaterie, tiré de l’oeuvre de Roald Dahl. Or, celle-ci et son auteur viennent de subir une attaque en règle des chasseurs d’impuretés sémantiques, les nouveaux censeurs. L’oeuvre de Dahl aura bientôt un quart de siècle et certains mots, qui étaient impunément utilisés à l’époque, sont bannis aujourd’hui. Les nouvelles éditions ne contiendront plus le mot grosse, il a été remplacé par le mot… énorme !
Lorsque ma fille lisait des Comtesse de Ségur, elle me disait : « C’est curieux le langage que les adultes utilisaient avec les enfants à l’époque. » Elle avait compris que ça pouvait être différent d’aujourd’hui et, en même temps, elle découvrait le chemin de l’histoire, car connaître l’histoire, c’est explorer le passé dans toutes ses composantes pour mieux nous aider à savoir qui nous sommes et où nous allons. Comment faire comprendre le passé si on lui enlève les traces de son identité ? Les époques antérieures ont une identité différente de la nôtre et, en enlevant ou en maquillant ce qui faisait le passé, on triche. Les censeurs sont des tricheurs.
Pouvons-nous imaginer entendre dans la bouche du Survenant, le personnage-titre d’un téléroman de 1953, lancer un « Nèveurmagne, tabarnak ! » Absolument pas, car ce serait un anachronisme grave que de lui faire dire un juron alors interdit et inimaginable sur nos écrans, mais qu’aujourd’hui on peut lire et entendre sur les écrans de Netflix et souvent assorti d’un « crisse » bien senti !
Inversement, on ne peut enlever au passé ce qui pourrait choquer certaines âmes sensibles d’aujourd’hui. Par exemple, on ne doit pas toucher au monologue antiraciste Nigger Black d’Yvon Deschamps sous prétexte que le mot Nigger y est prononcé. Ce mot nous permet d’apprendre aux gens d’aujourd’hui qu’à une autre époque, les gens avaient une faculté, celle de percevoir le deuxième degré de certains propos. Quand les leaders des mouvements noirs américains ont reconnu des éléments de leur lutte dans le mouvement de libération des Québécois contre le colonialisme, ils n’ont pas été choqués par le titre du livre de Pierre Vallières, Nègres blancs d’Amérique. Au contraire, ils l’ont encensé. Modifier ou censurer les oeuvres passées, c’est aussi grave que l’élimination par Staline de la tête de ceux qu’il considérait des adversaires sur les photos qui allaient ensuite entrer dans les livres d’histoire.