Ils sont heureux ensemble, depuis des années… Rodolphe et son chien Rufus. Beau temps, mauvais temps, si vous sortez assez tôt le matin, vous pouvez être assuré de les croiser pendant leur marche quotidienne.
Pas très haut sur pattes, un pelage de soie fauve agrémenté de taches blanches sur la poitrine, on remarque d’abord chez Rufus sa belle tête, qu’il a l’habitude de tenir très droite en regardant au loin. Parlons-en de ce regard! Des iris d’ambre aux reflets caramel, qui vous fouillent jusqu’au fond de l’âme et savent dire « je vous aime » mieux que personne. Quant à son compagnon de vie, c’est le plus débrouillard et autonome des hommes; il peut tout réparer de la cave au grenier, et n’a jamais manqué de clients. Ce jour-là, lové confortablement sur son tapis devant le foyer, Rufus refuse d’accompagner Rodolphe dans leur sortie matinale habituelle. Le vieil homme se dit qu’après tout son ami poilu étant âgé de plus de 12 ans, il peut bien dormir un peu plus tard s’il en a envie. La brume s’était levée, épaisse, recouvrant d’un voile bleuté l’ensemble de la forêt, ce qui a fait hésiter Rodolphe un moment avant de sortir.
On devinait à peine un soleil blafard à travers le rideau de conifères et l’air devenait plus froid quand Rodolphe, avançant depuis près d’une heure, décida de rebrousser chemin. Mais, au fait, où était-il ce sentier ? Sans trop s’affoler, il tenta de repérer quelques formes familières…en vain.
Il venait de réaliser qu’il s’était égaré quand, tout à coup, un craquement de branches et un mouvement furtif entre les épinettes attirèrent son attention. Le pauvre Rodolphe commençait vraiment à s’inquiéter quand il se retrouva nez à nez avec un cerf de Virginie. Au fond des yeux de cette bête magnifique, le vieil homme eut l’impression de retrouver la même tendresse que dans le regard de son Rufus. L’animal le fixa un moment avec calme, puis se retourna comme s’il invitait Rodolphe à le suivre.
Intrigué, ce dernier se mit à marcher en suivant le cerf, mais tout en se demandant s’il n’allait pas se perdre encore plus loin. Puis, au détour d’un petit rocher, il commença à entrevoir un peu de lumière, puis une clairière qu’il reconnut et enfin, l’orée du bois. Il était sauvé ! Rodolphe se retourna vers le cerf, mais celui-ci avait disparu, comme par magie.
En arrivant chez lui, il fut surpris de ne pas entendre le jappement familier de Rufus lorsqu’il tourna la clé. Il entra, se dirigea vers le tapis sur lequel le chien était encore enroulé. En s’approchant plus près, le cœur serré d’angoisse, Rodolphe se demanda s’il respirait encore… Le chien ouvrit un œil puis le second, remua la queue et commença à étirer ses pattes pour se lever d’un bond. « Quel vieux fou je fais ! », se dit-il en éclatant de rire. Heureux que la vie lui offre la chance de partager un Noël de plus avec son chien.
