Le matin du 23 juillet, il débarqua du croiseur Colbert à Québec. Le général de Gaulle, chef de l’État français, trouva ainsi le moyen de ne pas arriver dans la capitale canadienne comme le veut le protocole. Durant la traversée, il aurait confié à son gendre, Alain de Boissieu : « Je compte frapper un grand coup. Ça bardera, mais il le faut. C’est la dernière occasion de réparer la lâcheté de la France ». J’habitais alors Montréal. Je venais d’apprendre que j’avais été reçu au Barreau du Québec et je me préparais à poursuivre mes études en France, mais le matin du 24, alors que de Gaulle empruntait la route 138, le Chemin du Roy, pour se rendre à Montréal, j’étais rivé à mon appareil radio. Le discours du général prononcé à Québec la veille et retransmis en direct m’a fait comprendre que cette journée du 24 valait que j’y consacre toute mon attention. Je n’allais pas être déçu. Je me souviens des descriptions des commentateurs et des enregistrements audio des voix émanant des foules. Notamment de la population de Donnacona qui reçut le général en libérateur. J’ai visionné hier sur Internet, le film de son passage dans cette ville de Portneuf que je ne connaissais alors que de nom : un débordement de monde ! Plusieurs parents y avaient emmené leur enfant pour voir cet historique personnage, un acteur de la Seconde Guerre mondiale, alors distante d’à peine 20 ans. À chaque étape du parcours, à chaque discours, le même accueil. Les mêmes échos des Québécois aux paroles du général qui allaient en crescendo. Sa fierté d’être parmi nous n’avait d’égale que celle de nos compatriotes massés sur son passage et, à un endroit, autour d’un Arc de triomphe gigantesque fait de branches de sapins. En après-midi, j’ai eu l’intuition que quelque chose d’important surviendrait à Montréal à la fin du périple du général. Je me suis donc rendu devant l’Hôtel de Ville. L’attente fut longue, car le cortège a été ralenti par la foule, mais elle en a valu la peine : dans son discours historique, en symbiose avec la foule massée sous le balcon, le général mit le Québec sur la carte du monde avec quatre petits mots: «Vive le Québec libre !» Cela fait 50 ans, mais je me souviens encore des larmes du vieux notaire de 85 ans qui, à mes côtés, me dit : « Maintenant, je peux mourir. » Il ajouta : « Heureux ! »