Mathieu Hardy Il ne suffit que d’un brin de jasette avec Jacques Lefebvre et André Daigle pour constater qu’ils sont tous deux passés maîtres dans le métier de pourvoyeur. Alors que la 79e saison bat son plein à Sainte-Anne-de-la-Pérade, ces deux mordus de la pêche au poulamon présentent l’envers et l’évolution de leur travail au cours des 40 dernières années. Début décembre, la neige et le froid nous ont rappelé que la saison froide allait rapidement se pointer le bout du nez. Des hivers hâtifs, c’est ce qu’espèrent Jacques et André chaque année. Aussitôt que possible, ils s’aventurent sur la Sainte-Anne pour arroser le cours d’eau sous lequel des milliers de pêcheurs taquineront le poulamon quelques semaines plus tard. Cette année, ils se sont mis à l’ouvrage le 9 décembre et la saison de pêche s’est ouverte, comme la tradition le commande, au lendemain de Noël. Mais il y a fort à faire avant que petits et grands puissent plonger les lignes à l’eau sous 12 pouces de glace bien au chaud dans les cabanes à pêche. «On commence par arroser. Après ça, on plante les poteaux et on installe les fils électriques, toujours en arrosant encore», a expliqué Jacques. Normalement, environ un mois s’écoule entre le début et la fin de l’aménagement du village de pêche. Après le doux hiver qui a provoqué une saison écourtée l’an dernier, tout annonce une pêche excellente pour les semaines qui viennent, selon André. «La température, c’est ça qui nous mène! Cette année, on a la température pour nous autres. Pour qu’on soit capables de commencer, ça prend du froid de bonne heure et de la neige», souligne Jacques, assis à l’arrière du bureau de location de sa pourvoirie, en dirigeant son regard vers la fenêtre. Année après année, ni le poulamon ni la rivière n’arrivent à encore surprendre Jacques et André. Seule la météo ravive en eux de bons ou de mauvais souvenirs. Jacques se souviendra longtemps de la saison en cours, marquée jusqu’ici par l’absence de frasil dans la rivière. «C’est très, très rare que ça arrive! Très rare! C’est arrivé deux fois dans ma carrière! Cette année, il n’y en aura pas, s’il ne mouille pas, et on ne s’en plaindra pas!», notifie Jacques en se fiant sur ses 40 ans d’expérience. Aussi indésirable que nuisible, la présence de frasil dans la rivière et dans les cabanes de pêche complexifie le travail des pourvoyeurs qui doivent s’empresser de le chasser pour éviter que leurs activités soient perturbées. À l’inverse, s’il y a une saison qu’André aimerait oublier, c’est celle de 2007. La pluie abondante avait alors forcé les pourvoyeurs à démanteler les sites de pêche le 6 janvier. Même si elle avait repris plus tard, la saison avait été désastreuse. Ça doit être arrivé «quatre ou cinq fois depuis 40 ans», évalue Jacques. Comme si lui aussi désirait oublier cette saison cauchemardesque, il a placé au-dessus de la porte d’entrée de son bureau une photo des pourvoyeurs prise lors de l’interruption de la pêche cette année-là. Mais ils ne se sont pas laissé abattre. Ils en ont vu d’autres. Leurs débuts comme pourvoyeur datent de l’enfance. «J’ai commencé la pêche aux poissons des chenaux à 5 ou 6 ans. Il venait un cheval dans la cour avec une calèche, une ‘‘slay’’. Il embarquait la cabane sur la ‘‘slay’’. Mon père venait me chercher dans la maison. Il embarquait dans la cabane avec moi et on s’en venait porter ça ici», raconte Jacques. Son père louait deux cabanes à pêche installées sur la rivière, à quelques pas du domicile familial, sur la rue Saint-Igace. Plus tard, il a ouvert et dirigé les opérations de sa pourvoirie pendant une dizaine d’années avant de la vendre à Jacques. Tout aussi fascinante, l’histoire des débuts d’André se distancie de celle de Jacques. «J’ai commencé à travailler chez les autres pourvoyeurs bien jeune», se rappelle-t-il. Il avait 12 ans et à 18 ans, il a ouvert sa pourvoirie. Tant pour un que pour l’autre, leurs racines péradiennes ont fait toute la différence dans la pratique de leur métier. «Rares sont les pourvoyeurs qui ne viennent pas de Sainte-Anne qui ont réussi», constate Jacques. «On est venus au monde à Sainte-Anne, dans le village, et on a toujours travaillé sur la glace», dit André, assis devant Jacques, qui acquiesce d’un regard complice. Après tous ces hivers passés sur la glace, les deux hommes ont vu évoluer leur travail. La façon de servir leurs clients a changé. «Quand j’ai commencé à faire de la pêche, si tu n’avais pas une cabane en préfini et une fournaise à l’huile, ça ne passait pas. Astheure, ça prend une cabane avec un poêle à bois pis en petites planches, de préférence», énumère Jacques. Dans ce temps-là, une cinquantaine de pourvoiries étaient en activité. Il y en a présentement 18. Et contrairement à aujourd’hui, la pêche était plus populaire de soir que de jour. «Le jour, on avait de la misère à louer nos cabanes! C’est le samedi soir que ça se passait», relate Jacques. Il est toujours possible de pêcher la nuit les samedi et dimanche, mais avec le virage familial entrepris par l’Association des pourvoyeurs, la majorité des activités se déroulent en journée. «On accueille autant, sinon plus de monde que dans ce temps-là parce que même s’il y en a moins, les cabanes sont plus grandes», dit Jacques en se référant à ses débuts. Le train-train quotidien du pourvoyeur, lui, a résisté à l’épreuve du temps. André s’active dès 4h tous les matins pendant la pêche. «En arrivant le matin, il faut allumer les poêles et préparer les chalets pour commencer à recevoir le monde», énumère-t-il. Sa journée s’étale sur une douzaine d’heures de travail quand tout se passe bien. De son côté, Jacques indique qu’il est tellement occupé, assez pour «ne pas voir l’hiver». «Je n’ai jamais vu passer l’hiver de ma vie, jamais! Quand j’arrive ici, j’ai hâte qu’il fasse frette, on commence à arroser, on fait la pêche. Quand on débarque les cabanes, les journées rallongent et l’hiver est fini!» Pendant le reste de l’année, il s’affaire à bûcher le bois de chauffage et rénove les cabanes à pêche en prévision de la prochaine saison. Si Sainte-Anne-de-la-Pérade est désignée et connue partout sur le globe comme étant la capitale mondiale du poulamon, c’est entre autres grâce au dévouement de pourvoyeurs comme Jacques et André. «On doit faire attention à notre monde et bien les recevoir! On leur montre à pêcher, c’est ça le secret», détaille Jacques, qui serait ravi, tout comme André, de vous accueillir à sa pourvoirie au cours du prochain mois. Car au-delà de la présence unique de poulamons dans les eaux glaciales de la Sainte-Anne, il y a l’expérience aussi singulière que le savoir-faire de ces mordus de la pêche aux poulamons. Profitez des activités familiales prévues lors du Festival de pêche, qui aura lieu la fin de semaine entre le 28 janvier et le 12 février, pour aller les saluer et rapporter du poisson des chenaux à la maison pour souper. En visitant le site de l’Association des pourvoyeurs, vous trouvez la programmation détaillée. Et si vous désirez cuisiner le poulamon, des chefs vous y proposent des recettes qui font saliver.