Nous pouvons aborder le sujet de la folie sous deux angles: la légèreté et la gravité. Aujourd’hui, je considérerai d’abord cette folie, issue du langage de tous les jours, une folie, somme toute, inoffensive. Elle est romancée par les écrivains ou se retrouve plus simplement dans le vocabulaire courant. Bien souvent, on emploie le mot « folie » ou l’adjectif « fou » sans trop s’en rendre compte, par des expressions populaires. On l’utilise pour qualifier un état hors de l’ordinaire, lui donner une intensité propre ou même un caractère excessif. Par exemple, si on dit: « je suis fou de joie », cela traduit un moment d’excitation sans pareil, une exaltation pleine et entière. La personne qui éprouve cet état se sent au-dessus des choses, elle flotte. La locution « Tu es fou… » employée entre deux personnes qui s’aiment évoque une douce folie, un balancement bien dosé entre ce qui est fou et ce qui ne l’est pas. Ils se parlent en images. C’est une figure de style. Voici d’autres expressions: « Je t’aime à la folie! », « J’ai fait une folie! » en parlant d’un amour débridé ou d’une dépense excessive faite sous l’impulsion du désir. Ce qui est intéressant de constater dans ces expressions, c’est qu’elles évoquent la cohabitation de deux concepts opposés: la normalité et le dérèglement. Or, puisque ces deux concepts sont relatifs, cela va de soi, et gradués, ils permettent de se mélanger ensemble, très légèrement sans pour autant se fusionner l’un et l’autre. Ce mélange ajoute un petit grain de sel à la vie, pour ne pas dire un brin de folie! Par exemple, l’amoureux qui achète une très belle bague à sa femme alors que sa situation financière n’est pas aisée, pourrait être qualifié de « fou » (au sens péjoratif) par son voisin qui sous-estime, dans l’équation, tout l’amour vécu par cet homme et tout ce que cette femme représente pour lui. Si on ne regarde que le strict point de vue financier, l’homme fait peut-être un geste un peu fou, mais puisqu’il est fondé sur son amour et sur des moyens tangibles pour payer, ce geste peut s’avérer à la fois très sensé. La raison serait bien triste si on n’y injectait pas de petites doses de folie. Ainsi, la folie au sens commun fait référence à un chevauchement entre ce qui est normal et attendu et ce qui est rêvé et idéalisé. Cet espace est vécu sainement et simplement car il n’est pas menaçant pour aucune des personnes en jeu. Il maintient les frontières personnelles bien intactes et est un moyen parmi d’autres d’exprimer des sentiments. Nous verrons dans la prochaine chronique que la folie, la vraie, peut être cachée, insidieuse, trompeuse et donc, non souhaitée par personne.