Il y a quatre ans, le 7 janvier 2015, presque toute l’équipe de Charlie Hebdo, dont mon ami, l’économiste Bernard Maris, tombait sous les balles des frères Kouachi. Les assassins étaient de pauvres types dont le cerveau avait été contaminé par les propos de prédicateurs islamistes criminels. L’attentat faisait suite à la parution d’une caricature où l’on voyait le prophète se tenir la tête en disant, affligé: «C’est dur d’être aimé par des cons!» La caricature faisait référence à un premier attentat au cours duquel les locaux de Charlie Hebdo avaient été incendiés par des extrémistes musulmans.
Ces jours derniers, des Canadiens d’origine indienne ont exprimé leur colère à la suite de la présentation d’un sketch du récent «Bye Bye». La parodie représentait les aventures de Justin en Inde, notamment quand, en charmeur de serpent, il faisait sortir de son panier un boyau avec comme tête un pistolet de pompe à essence, ou encore l’allusion à nos propres vaches sacrées dans la défense de la gestion de l’offre. Dans le cas des indignations émanant d’individus de religion hindoue, on se référait aussi à la culture en la présentant comme sacrée et intouchable, car d’origine divine.
Le dernier exemple nous démontre à quel point ces gens n’ont aucune connaissance de notre histoire ni de notre culture. Le peuple québécois, même dans la période obscurantiste de son histoire, a toujours été irrévérencieux devant le pouvoir et si ce pouvoir était exercé par un clergé tout-puissant, alors son humour s’exerçait contre lui. Le coup de grâce a été donné par les Cyniques dans les années 1960. Comme par enchantement, les humoristes qui ont suivi n’ont pas eu à attaquer l’Église et ses responsables, car leur pouvoir ici s’est effacé au fil des années.
Avec le retour de certaines religions et de leur velléité d’exercer un pouvoir sur les consciences, il ne faut pas se surprendre de les voir devenir la cible de ceux et celles dont la mission est de mettre à nu leur côté risible. Mais depuis toujours, l’histoire nous apprend que les dieux sont tragiques et n’entendent pas à rire. Ceux qui ont créé ces dieux ont compris que leur donner le sens de l’humour diminuerait leur pouvoir divin et, par ricochet, leur pouvoir à eux sur leurs contemporains. Un dieu capable de rire et, surtout, capable d’autodérision se mettrait à l’abri des humoristes, mais il ne pourrait exercer aucun pouvoir néfaste sur l’esprit des êtres humains.