On l’a dit, redit et écrit partout ces dernières semaines: rien ne ramènera à la vie les six pères, frères, fils ou maris tombés dans la mosquée de Québec sous les balles d’un jeune homme fragile fanatisé. De même que rien ne pourra faire revivre l’équipe de Charlie Hebdo, ni les 130 morts du Bataclan, ni les 2753 morts du World Trade Center, tous massacrés par des fanatiques islamistes. Toutes ces victimes, qu’elles fussent de Québec, de Paris ou de New York avaient en commun d’être des non-combattants, des innocents, qui menaient une vie normale faite de plaisirs et de peines comme vous et moi.
Bien sûr, l’émotion est plus grande lorsque ces innocents sont des gens de chez nous et leur malheur nous atteint plus particulièrement, au point de nous faire un peu oublier que des malheurs tout aussi grands ont affecté des centaines de familles ailleurs. Il est normal donc de porter une attention toute spéciale à «nos» victimes et à «notre» coupable. Cette attention s’est cristallisée lors de l’attente de la sentence. Un survivant du massacre de la mosquée de Québec a alors déclaré que dans tous les cas il serait déçu, car seule la condamnation à mort de Bissonnette saurait le satisfaire.
La vengeance est un sentiment compréhensible, mais elle n’a rien à voir avec la justice. La peine de mort est un meurtre commis par l’État ajouté à celui de l’assassin. Une civilisation se mesure à sa capacité de rendre possible une réhabilitation du criminel. Nous avions atteint ce niveau de civilisation avant que le gouvernement Harper vienne amender le code criminel pour rendre possible la peine de mort à petit feu comme l’a requis le procureur de la Couronne en demandant 150 ans de prison. Vouloir la peine de mort sur l’échafaud ou en prison c’est oublier que tout n’est pas mauvais dans un homme. En le faisant périr, on fait disparaître à la fois le bon et le mauvais chez cette personne.
Outre ces considérations sur la peine, il est sage de retenir ce qu’un Québécois, algérien de naissance, rappelait dans un très beau texte paru cette semaine dans le Devoir: citant le Coran, il soulignait que le pardon est l’un des enseignements clés de l’Islam. Or, le pardon est incompatible avec la vengeance. Il ne peut s’incarner que dans l’espoir d’une réhabilitation. Celle-ci ne peut se réaliser que dans le cadre d’un temps raisonnable. Quarante ans me semble dépasser ce temps.