Ces jours derniers, des artistes sont intervenus sur la place publique pour dénoncer l’impolitesse chronique des spectateurs toxiques. Vous savez, ces importuns qui, au théâtre, se permettent de commenter les répliques des comédiens ou, au cinéma, celles qui donnent à leur voisine de siège les nouvelles de la semaine pendant les scènes qu’elles jugent trop lentes ou peu importantes à leurs yeux.
Sous prétexte qu’ils ont payé leur place, certains croient qu’ils peuvent impunément emmerder leurs semblables en livrant à voix haute tous leurs états d’âme. Par ailleurs, je plains les comédiens qui doivent maintenir leur concentration sur scène en voyant certains énergumènes consulter leur petit écran comme des drogués. J’ai souvent été victime de ces agents toxiques, mais jamais comme ce soir de septembre en 1988.
C’était au Stade olympique de Montréal. Une publicité tous azimuts avait présenté le tout comme le spectacle du siècle: l’opéra «Aïda», de Verdi. Trois orchestres symphoniques, trois choeurs et une scène gigantesque devaient en mettre plein la vue et plein les oreilles aux 60 000 spectateurs, à la mesure de ce stade et de l’oeuvre grandiose du maître italien.
Mes moyens financiers, très moyens, ne m’avaient pas permis d’être parmi les heureux élus du parterre. Je m‘étais retrouvé dans les hauteurs et je me consolais en me disant que j’allais mieux voir l’ensemble. Il y avait là des amateurs habituels d’opéra, dont j’étais, mais aussi, ameutés par la publicité, des curieux qui voulaient pouvoir dire qu’ils y étaient.
Tout allait relativement bien jusqu’au moment tant attendu où, au deuxième acte, retentirent les trompettes qui annonçaient la grande marche triomphale pour célébrer le retour du héros, Radamès. J’avais déjà vu cet opéra à Québec et, pour l’occasion, on avait fait parader sur scène quelques chevaux. Mais dans le stade, il y avait certes des chevaux, mais aussi des chameaux, des éléphants et même des ours, je crois.
Croyez-le ou non, les zozos autour de moi ont applaudi les animaux qui défilaient! Tellement que je n’ai entendu ni les choeurs ni les orchestres dans ce moment unique où tous les artistes étaient mis à contribution. Mais ce n’est pas tout: une fois passé ce moment spectaculaire, les abrutis, peu intéressés aux duos d’amour, quittaient leur place pour aller assouvir leur faim et leur soif, laissant claquer leur banc à chaque fois qu’ils se levaient. Je n’ai jamais revécu une expérience aussi toxique. Aujourd’hui j’y repense en me disant que les chameaux n‘étaient pas tous sur scène.