« À bord, nous devenons les yeux et les oreilles sur le fleuve »

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Par Johanne Martin
« À bord, nous devenons les yeux et les oreilles sur le fleuve »
Bruno Boissonneault et Jules Sauvageau devant le moulin à vent de Grondines, qui fut une station de signaux maritimes. Photo – Johanne Martin

L’histoire des pilotes du Saint-Laurent est intimement liée à celle des municipalités riveraines du fleuve. Au fil du temps, ils ont permis à des milliers de bateaux d’arriver sans encombre à bon port. Jules Sauvageau, originaire de Deschambault-Grondines, et Bruno Boissonneault, issu d’une famille comptant quatre pilotes, sont du nombre.

Sillonner le majestueux Saint-Laurent n’a jamais été une aventure de tout repos. Même s’il a évolué au fil du temps, le métier ne date pas d’hier. Aujourd’hui, deux associations offrent les services – obligatoires – d’environ 200 pilotes pour la prise en charge des bateaux sur le territoire compris entre Les Escoumins et Montréal. Du pétrolier au gigantesque navire de croisière, ils se retrouvent aux commandes de bâtiments très variés durant leur carrière.

On raconte qu’autrefois, un naufrage survenu à l’îlot Richelieu aurait mobilisé des résidents de Deschambault et de Lotbinière et que la vocation de pilote serait née à ce moment dans le secteur, un lieu stratégique pour la navigation. Entre les deux villages, au milieu du fleuve, des rapides jalonnés de rochers s’étendent en effet sur une distance de deux kilomètres et correspondent à un rétrécissement du chenal qui crée un courant particulièrement puissant.

« Pour ma part, le goût m’est venu d’un ami qui était allé à l’École de marine de Rimouski et d’un pilote de la place, Serge Arcand, que je connaissais. Ils avaient l’air d’aimer ce qu’ils faisaient. Pour la majorité d’entre nous, l’influence des autres est d’ailleurs l’un des facteurs principaux dans la décision. Il faut dire aussi que j’ai passé ma jeunesse au bord de l’eau », explique Jules Sauvageau, qui exerce le métier depuis 25 ans, dont deux comme apprenti.

Beaucoup de connaissances à acquérir

De fait, le parcours pour devenir pilote du Saint-Laurent en est un de longue haleine. Après ses études, le futur candidat doit effectuer, pendant deux années, quelque 280 voyages sur le cours d’eau à titre d’apprenti. « Il acquiert un maximum de connaissances et profite de celles des autres pour parfaire son apprentissage, note Bruno Boissonneault, pilote de père en fils. Les images de tous les paysages finissent vraiment par être gravées dans sa tête. »

Des repères employés il y a cent ans sont ainsi encore utilisés. On dit par exemple qu’entre Québec et Trois-Rivières, le pilote du Saint-Laurent a toujours au moins une église en vue. La configuration de la plus longue voie de navigation en eau profonde sur la planète, ses courants, ses marées, ses conditions climatiques changeantes, de même que les différents systèmes dont sont équipés les bateaux n’ont donc, en principe, plus aucun secret pour lui.

Le pilote doit forcément se montrer calme, concentré, en mesure de prendre des décisions rapidement avec des renseignements souvent incomplets et faire preuve d’une très grande adaptabilité. « On prend ce que le capitaine veut bien nous dire, puis on fait de notre mieux pour garder le bateau dans l’eau ! », lance M. Sauvageau. À cela s’ajoutent évidemment les barrières linguistique et culturelle puisque les navires proviennent de partout dans le monde.

Des expériences parfois difficiles

Sur une période d’un an, chaque pilote offre une disponibilité de 207 jours et répond à 130 affectations. Sur appel 24 heures sur 24 de manière continue pendant un cycle de dix jours à deux semaines, il monte à bord des bâtiments en transit sur le Saint-Laurent et y séjourne de quatre à 12 heures. « Nous sommes habituellement le premier contact canadien avec le bateau et devenons les yeux et les oreilles sur le fleuve », tient à indiquer M. Boissonneault.

Il arrive qu’un pilote constate – et doive signaler – le mauvais état d’un navire ou remarque que ses occupants sont confrontés à une situation difficile. Les deux navigateurs évoquent des épisodes de panne moteur et même un événement « où il faisait tellement froid que tout était gelé; une fenêtre a dû être dégivrée à l’aide d’un grille-pain pour voir dehors. Et disons aussi que nous sommes rarement surpris positivement par ce qu’il y a dans notre assiette ! »

Malgré tout, les expériences vécues sont le plus souvent enrichissantes. « Les pilotes du Saint-Laurent représentent en quelque sorte les gardiens de la sécurité et de l’écologie du fleuve. Ils jouent par ailleurs un rôle non négligeable dans l’économie nord-américaine », conclut Bruno Boissonneault, dont la famille est originaire de l’île d’Orléans et qui s’est déjà retrouvé, dans le cadre de son métier, à bord du même bâtiment que son père et son frère.

Deux expositions… et un legs

Le moulin de La Chevrotière propose une exposition intitulée Savoir – faire – durer : l’art des gens de métier, qui raconte notamment l’histoire des pilotes du Saint-Laurent. Le moulin à vent de Grondines affiche aussi sa singularité puisque le bâtiment fut converti, l’espace de quelques décennies, en station de signaux maritimes. Jusqu’en 1967, des gardiens se sont succédé dans ce lieu stratégique destiné à la surveillance de la circulation sur le fleuve. Une exposition permanente y est présentée. « Et pour nos 150 ans, dans deux ans, nous avons un projet de legs. Des plaques d’interprétation seront installées dans les villages tout le long du Saint-Laurent avec la liste des pilotes », annonce Bruno Boissonneault, qui est également vice-président (Québec) de la Corporation des pilotes du Saint-Laurent Central.

Quelques chiffes…

  • 200 pilotes du Saint-Laurent environ sont actuellement en fonction parmi lesquels on compte 4 femmes
  • 1873 correspond à l’année de la mise en place, par le gouvernement fédéral, de la Commission du Havre de Montréal, qui coordonne le pilotage sur le Saint-Laurent entre Québec et Montréal
  • 60 % des pilotes, entre Québec et Montréal, étaient originaires de Deschambault au tournant du 20e siècle

 

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Ginette Allard
Ginette Allard
3 années

Quel beau métier avec une responsabilité inimaginable. Félicitations Jules Sauvageau