Jeune, Julie Fournier était convaincue qu’elle s’éteindrait à 25 ans. Elle est bel et bien morte à cet âge, mais de son ancienne vie pour renaître dans une nouvelle existence. Mère, grand-mère, conjointe amoureuse et heureuse, elle s’est reconstruite comme tous ces meubles qu’elle crée ou restaure depuis qu’elle pratique le métier d’ébéniste.
Benjamine d’une fratrie qui compte quatre enfants – trois filles et un garçon –, le divorce de ses parents, lorsqu’elle a 10 ans, constitue le préambule d’un parcours difficile pour Julie. Cet éclatement de la cellule familiale se traduit par le passage de la fillette dans six milieux d’accueil en autant d’années. Des séjours qui, à l’exception du tout dernier, lui laissent un goût amer. Dès le début de l’adolescence, elle fera d’ailleurs plusieurs tentatives de suicide.
« Ça s’est plutôt mal passé, résume celle qui est originaire du quartier Neufchâtel. J’ai vécu une enfance assez terrible. Les enfants, nous avons tous été séparés, j’avais des problèmes d’apprentissage en plus. J’ai eu beaucoup de trous scolaires, j’ai doublé quelques fois et je me trouvais toujours en décalage dans ma classe par rapport aux autres. À 16 ans, j’ai fini par décrocher complètement de l’école et je suis partie vivre en appartement toute seule. »
Pour « effacer » sa jeunesse malheureuse, Julie consomme différentes drogues dures. Elle s’entiche également d’un toxicomane, une relation qui se conclura par un acte violent de la part du jeune homme. Qui plus est, à 17 ans, elle devient enceinte par accident. « J’ai perdu l’enfant à quatre mois de grossesse. À l’hôpital, quand on m’a dit qu’il me fallait un curetage, je n’ai pas voulu au départ. J’ai essayé de me sauver pour mourir moi aussi avec le bébé. »
Premiers pas vers une nouvelle vie
Si, à l’origine, la perspective d’être mère lui permettait de s’accrocher à la vie, de donner de l’amour et d’en recevoir, Julie se lève un matin et décide de faire un premier pas afin de s’en sortir. « À 18 ans, sur l’aide sociale, je me suis un jour réveillée en bégayant, en cherchant mes mots. J’ai réalisé que c’était assez. Ça faisait quatre ans que je consommais et j’avais envie d’un autre genre de quotidien. J’ai choisi de tout arrêter, comme ça, par moi-même. »
Julie s’inscrit à un atelier de recherche d’emploi. Même si elle ne possède qu’un secondaire 3, une entreprise dans le domaine de l’électronique lui donne sa chance. Après une mise à pied par manque de travail, puis une référence vers un nouvel employeur qui lui confie des tâches ennuyantes, à 19 ans, la jeune femme est de retour sur l’aide sociale… et découvre qu’elle est enceinte. Elle s’était pourtant promis de ne plus faire l’expérience de la maternité.
« Cynthia, ma fille, c’était imprévu, raconte-t-elle. À ce moment-là, je ne souhaitais plus avoir d’enfant, mais j’ai finalement poursuivi ma grossesse. J’ai quitté le père quand Cynthia avait un an. Je suis restée avec elle les trois premières années de sa vie. C’était important pour moi qu’elle puisse parler avant de l’envoyer à la garderie. J’avais peu de revenus; malgré tout, ma fille n’a manqué de rien. Je voulais faire pour le mieux, car j’étais son seul modèle. »
Un retour aux études parsemé d’obstacles
À 24 ans, une nouvelle tuile s’abat sur Julie : elle reçoit un diagnostic de cancer de l’utérus. Elle parvient toutefois à traverser cette épreuve et à guérir de la maladie. Pendant la même période, elle prend la décision de terminer ses études secondaires, non sans embûches. Il faudra notamment qu’elle interpelle son député pour pouvoir fréquenter l’école alors qu’elle encaisse des prestations d’aide sociale. Elle obtiendra son diplôme en un an plutôt que trois.
« Après mon processus d’orientation, j’ai aussi eu des problèmes parce que les formations qui étaient ressorties – pour devenir cimentière ou en briquetage – ne correspondaient pas à des métiers d’avenir, donc Emploi Québec refusait de me financer, ajoute Julie. En fin de compte, j’ai fait un DEP en décoration intérieure et étalage, et un autre en ébénisterie. J’ai suivi des cours complémentaires en rembourrage, marqueterie, dorure et en restauration. »
En 2005, Julie s’établit à Saint-Basile avec Yvon – son conjoint depuis 20 ans – et Cynthia. L’année suivante, elle fonde Ébénisterie Julie. Depuis trois ans, la famille s’est enrichie d’un nouveau membre, Noah. « J’ai réussi avec ma fille et j’en suis très fière; on a une très belle relation. Mon petit-fils, lui, a déjà ses outils dans mon atelier. Je le garde régulièrement. Je mène maintenant une belle vie avec un homme que j’aime et qui m’aide dans mes projets. »
Une nouvelle philosophie… et des rêves
« À 25 ans, j’ai arrêté de m’en faire. Je me suis dit que je ne laisserais pas mon passé nuire à mon avenir, que je devais apprendre quelque chose de mes malheurs. Quoi qu’il m’arrive, il ne faut pas que je dramatise et que j’avance. Je vis l’instant présent. »
Vingt ans plus tard, Julie continue d’épouser cette philosophie. Éventuellement, elle aimerait donner des conférences pour témoigner de son expérience et pouvoir ainsi aider des gens. Elle rêve aussi de partager ses connaissances en proposant de la formation en fabrication et en restauration de meubles. L’ébéniste est d’ailleurs en train d’aménager l’étage de son atelier. Autrement, elle aspire à faire le tour du monde, à partir à l’aventure avec son conjoint.
« Si on gagnait des millions, Yvon et moi, on irait proposer un coup de main à des personnes au hasard de notre route. En attendant, j’essaie d’offrir de mon temps. Je m’occupe du Club des TTPE (Très Très Petites Entreprises) et j’ai été du premier comité de la Route des Arts et Saveurs. Dernièrement, j’ai été choisie comme l’une des femmes inspirantes de la région de Portneuf par la photographe Danielle Du Sablon », conclut la rayonnante quadragénaire.